La rue

mardi, 5 janvier, 2021

En fait, les rues. Elles sont autant des lieux de promenades, des espaces de transit, des systèmes d’interconnexions intracontinentaux. Pas seulement, elle peuvent définir une vie dans le rapport des être qui, d’une certaine manière, les aspirent par toutes les pores de la peau, les respirent par le nez et la bouche. Les rues sont évocatrices d’émotions qui imbibent nos espaces mémoriels et sensoriels.

Avaux

Ça rime avec caniveau, sorte de fossé dompté, civilisé, formaté. Je ne suis pas supposé marcher dedans, mais à côté. Ils m’aspirent pourtant vers huit ans. Je sais en être sorti très longtemps après. Dix neuf ans après. Depuis la maison, deux directions possibles (qui va avec le sens…).

Le nord que j’associe au soleil, aux près, à une mobylette dont je suis tombé en la raccompagnant chez elle, à un cours d’eau, à Thérèse, fille la voisine de la boulangerie qui est sale comme deux cochons et son malheureux bec de lièvre. Je l’aime bien et je dois être le seul du village.

Le sud, lui, cohabite avec les vieilleries du village -Très petit village en 68 : les fossés sur le flanc droit de la rue, le Goulet Turpin qui sert de supermarché de l’époque, c’est à dire un dépanneur local au fin fond de l’Ardèche en 2021. Sauf que là, ce sont les Ardennes un peu rêches. Plus loin caniveaux cheminant, il y a la boucherie Cordier (celle dans laquelle je me suis sérieusement entaillée le majeur droit. Je viens de regarder, c’est bien à droite) et plus loin encore en bifurquant à droite, après une montée, on trouve mon terrain de jeu que d’autres appellent ici la déchetterie. C’est est une à ciel ouvert. Une vraie caverne d’Alibaba. Le sud gagne cinq lignes contre deux… Ça en dit long.

Au centre bien sur, la maison, une épicerie-bar-tabac située sur un fort potentiel : juste en place de l’église. Çà tourne le dimanche après la messe et puis voilà, semaine faite ou presque. C’est l’ancienne boulangerie. Mes parents l’on adopté en quête d’autonomie sur le travail. Aucun des deux ne botte en touche, dans ce village ouvert à tous. Surtout à ceux de l’intérieur. Mon père, avec un nom franco-belge fait figure « d’estranger » qui vient prendre le pain des villageois. Çà vous parle ? C’était il y a 52 ans. Les limaces ne sont pas rapides dans leur évolution et nous non plus. Nos voisins immédiats sont les « je-ne-sais-plus » avec ses trois filles interdit-de-jouer et les Gacoins (Jean qui a encore sa barbichette et maintenant David qui aurait pu être un vieil amis), sur la place de l’église. Tous deux cultivateurs. Je n’oublie pas notre garagiste, toujours présent pour dépanner l’hivers, lorsque l’eau a gelé dans les tuyaux. Avec ces gens, çà allait plutôt bien. Les autres, je ne peux rien en dire. Autre que les histoires oubliés. Nos personnes on du l’être aussi. Dès le départ en 2CV.

Selon la saison, j’emprunte une direction ou l’autre. La plupart du temps, je suis seul à circuler à travers le village. Bottes vertes, pull verts à col roulé. Je ressemble à un petit garçon sorti tout droit de la brocante du coin. Un enfant d’occasion. Le nez fixé droit au sol à la recherche de rien, je traîne les pieds qui flottent un peu dans le caoutchouc. Pas froid pas chaud, l’aire de ce que je suis, rien d’important… Qui ne va même pas à l’école. Pas tous les jours en tout cas. Mes parents on des problèmes avec ça. Moi non. Je savoure le bruit de l’eau qui glisse sur mes bottes, les floc-floc des semelles. Comme je vais nulle part, je pense m’arrêter dans les maisons accueillantes. Il y en a deux ou trois.  Cet homme qui passe pour un peu bargo  avec un furet à la maison en guise de chat et des têtes d’oiseau alignées sur le mur de son jardin. Ses trophées. Les jeudi et les week-end, je peux me rendre chez David ou Dominique ou encore Simone (oui, ça décape !) qui était de corvée au jardin près d’un ruisseau. La boucherie Cordier est sur ma route et je m’y arrête régulièrement pour bricoler un peu. J’entend par là, la viande. C’est possible, nous somme

Canadienne

J’ai habité ce vestige toutes mes études durant. Une canadienne est, entre autre, un vêtement fait de toile épaisse et d’un doublage en authentique peau de mouton. L’idée du mouton m’empêcherait de la porter aujourd’hui. Mon père la portait lors de ses sorties pèche à la ligne ; elles sont restées au singulier dans ce village champenois de Betton. Toujours est-il que je me souviens de ce moment où je l’avais accompagné.

Ce jour là, il ne fait pas très chaud et je ne sais d’où il sort ce manteau assez étrangle vu d’un enfant de 6 ans, mais ça semble bien. Expérimenté comme l’est mon père en matière de pèche, il rentre bredouille. Je ne me souviens pas que l’on attendait le résultat de sa pêche. C’est bien heureux. Je fais une fixation sur ce vêtement qui sent vraiment la bête. Bien sur il est trop grand pour moi mais cela ne m’empêche pas de me lover dedans occasionnellement. Elle était rangée, d’une certaine manière, dans la dépendance attenante au bar-épicerie, côté jardin. Mon père l’utilisait comme élément de couchage en complément du matelas de paille dont le sol était tapissé. C’est là qu’il commençait sa nuit pour ne déranger personne en rentrant de son travail, tôt le matin.

Cette canadienne m’échappe ensuite pendant de nombreuse années. De 8 à 16 ans précisément. C’est en classe de seconde que je tombe dessus par hasard dira-t-on.  C’est cette année là que l’adopte pour toute ma scolarité. Je ne la quitte pas. Je n’en vois pas d’autre à l’horizon, de canadienne. Je ne la lave jamais et le temps aidant, entre le bitume des arrêt de bus et les voyages en moto, elle s’est largement élimée. Quand même, je l’emmène jusqu’à Bordeaux, lieu de mon dernier stage chez un abruti chez qui j’ai claqué la porte. Nous étions au mois de mai et marchant dans la rue Sainte Catherine, je croise un clochard. Pas de manteau. Bien sur, ma canadienne n’est plus neuve depuis un moment, mais elle reste parfaitement utilisable. Je n’oublierai pas le regard de cet homme qui m’a fait comprendre la portée de ce cadeau.