Normandie Armoricaine

vendredi, 1 janvier, 2021

Ce n’est pas l’autoroute A29 qui déboule dans l’A13. Non, c’est rempli d’endroits entre Lille et Caen, entre Lille et le nord du massif armoricain. C’est une tranche complète coupée entre 17 et 23 ans. C’est aussi un espace plus lointain de lieux de vacances avec nos parents. Je ne sais plus à quel age précisément car le souvenir de la photo noir & blanc rend ce détail incertain.

Pour de nombreuses raisons, les frontières ont assez peu existé entre les côtes armoricaines et la Normandie. Qui oblige un cadre administratif dans ces écrits ? Rien, personne. Je crée donc la Normandie Armoricaine par soucis d’unité et de cohérence.

Caen

Il a quitté la maison dans ses dix neuf ans avancés. Sa copine habitait Caen. Mes parents ont déménagé d’une rue vers la suivante et lui est arrivé à une autre adresse, à 370 kilomètres de là.  Il n’y avait pas internet et je ne me souviens même pas comment ils se sont rencontrés ces deux là. Pas très important du reste. Entre R5 bleue nuages et 2CV jaune dégueulasse j’ai pris l’habitude de cheminer jusqu’à chez Patrice. Les vacances intermédiaires, les week-end allongés, chaque opportunité faisait l’affaire. La magie opérait dès l’instant du départ de Lambersart.  J’arrivais souvent tard, rue d’Auge – tu parles d’un nom – juste derrière la gare. Je dormais dans la cuisine avec mon pot le réfrigérateur. Donc je ne dormais pas. Il n’étais pas le seul à m’empêcher de dormir. Un jeune voisin en pleine nuit dépannait sa mobylette, la faisant hurler comme si il était seul au monde, comme un appel au secours pour ne pas qu’on l’oublie. Bon, le frigo (oui, je sais, c’est une marque ; j’évite la répétition), je n’avais pas la main dessus. Par contre, l’abrutis du rez-de-chaussez, je pouvais l’aider à au moins ne plus m’emmerder (mes mots de ce jour là). Il arrive qu’il pleuve la nuit sans trop savoir comment les jours étoilés. Ça ne tient qu’à peu de chose. Un seau, un robinet et surtout un grand désir de quiétude en pleine ville. Je ne l’ai pas loupé et j’avais sans doute réglé son problème puisque quelques jurons plus tard, la nuit redevint calme et pour toutes les nuits passées rue d’Auge qui ont suivi.

Les soirées étaient alimentées en cidre, en musiques, de pineau des Charentes et en discussions d’intérêts majeurs. C’est la raison pour laquelle on ne s’en souvient pas beaucoup. C’était dépaysant, grisant comme une pluie torrentielle et chaud sans poêle à bois. Simplement échanger avec des personnes que l’on aime à la lueur des quelques lampes de chevet. Plus tard, c’est à Hérouville saint-Claire dans un secteur plus calme que j’ai découvert le bien être à Caen. Le centre ville est vivant et d’humeur baladin, je faisais de grandes boucles pour baigner dans l’ambiance locale. Le château exerçait sur moi un pouvoir magnétique. Ses remparts permettaient une sorte de contemplation du monde. Un tout petit monde, certes, mais déjà tellement vaste dans la portée du regard. Face à lui, la présence humaine semblait tellement superflue, dérisoire. C’est pourtant cette même présence qui détruit chaque centimètre carré de ce qu’elle touche. Air, couleurs, bruits…

Côtes normandes

 

Etretat

 

Les campings

 

Lieu de repos

La dernière foi que je lui ai parlé, c’était sur son dernier lit qui ne lui appartenait pas. Un lieu neutre dit-on, chargé de toute l’infrastructure médicale. De beaux murs blancs, parce que la peinture blanche ne coûte pas cher sans doute ; parce que  les mourants sont tous un peu pareils dans leurs derniers instants, pâle avec une vitalité absente. Reflets des murs d’hôpital en quelques sorte. Mon père est mort lucide, c’est ce qu’il voulait. Il ne voulait pas perdre la tête ; il le craignait et lutait de toutes ses faibles forces. Et il a gagné son combat, celui-là en tout cas. J’ai donc connu un mourant qui me parlait de dieu, de la vie avec ses leçons débiles (la vie), l’au-delà et sa toute réelle inconsistance. Il ne pleurait pas sur son sort. Il avait peur me disait-il, de la transition, du passage. Il n’est jamais revenu me dire ce qu’il en est au juste.

Avec ses mots : je veux être incinéré. Je ne veux pas être enterré. Je ne crois pas en dieu, je ne suis même par athée… J’aimerais que tu disperses mes cendres dans un endroit où j’ai été bien. Je voudrais que tu me le promettes. Il devait savoir que je n’irai pas contre l’idée. On a jamais vu quelqu’un discuter à ce seuil d’une autre existence. J’ai donc promis.

Je suis parti en vacances sur l’île de Ré, Mon père ne se portait pas trop mal et j’avais besoin d’air. Vacances d’hivers, avec ma famille de l’époque. J’écris ça parce qu’elle a évolué. Ma fille est restée vivre avec sa mère Christel qui a été très présente en cette période particulière. On appelle ça des remerciements. Merci à toi ! Je me suis réveillé dans la nuit de jeudi à vendredi. Façon de dire pour un étrange sentiment de parler à mon père à 700 kilomètres de son chevet. Je me suis rendu compte que je lui disais au revoir. Qu’est-ce qui t’arrive me demande Christel, il est quatre heure ?  Je pense qu’il faut rentrer, mon père est parti. Elle savait que je savais et n’a pas questionné. A huit heure, vendredi l’hôpital nous appelle pour nous annoncer la nouvelle qui n’en était pas une.

Promettre c’est bien, mais c’est sans compter la conjointe, ma mère, sa femme, qui avait son mot à dire. Non, je ne suis pas prête. Elle ne l’a jamais été ; elle a conservé mon père comme compagnon jusqu’au bout, dans une urne. J’avais promis mais pas précisé quand… Juste seize ans plus tard en 2009 lorsque elle même est décédée. Je n’écrirai rien ici sur elle pour ne pas m’éloigner de la Normandie Armoricaine…

Le lieu, c’est Patrice qui l’a choisi. J’avais partagé les derniers moments de mon père et c’était un juste retour pour lui. Nous étions deux à ce moment, c’était un peu son choix aussi. Merci cette fois à nos deux épouses respectives, Caroline et Malika, d’avoir spontanément compris un enjeu plutôt curieux. Quatre pour une derniere fois, un dernier petit voyage.  Mes parents n’ont jamais divorcé, ils sont restés cendres-mêlés, unis, inextricablement dans les vents marins, au bout de l’Îlot St-Michel. Ils n’ont pas été capitonnés dans une boite en sapin ou je ne sais quelle autre essence de bois. Ils ont été étendus à l’extrême par le vent depuis la pointe de ce petit morceau de caillou, pas même au large de la manche. Comment exprimer le sentiment de joie éprouvé avec mon frère d’avoir rendu nos parents plus libre qu’un humain puisse rêvé de l’être de son vivant ? Effectivement, le vent l’emporte toujours, pour peu qu’on le laisse faire…  Aujourd’hui, il me plait de savoir qu’ils sont partout et nulle part. Je ne me recueille jamais, je ne les oublie jamais.

Avant la naissance, on existe pas. Après la mort, on existe plus. La différence c’est le passage dans la mémoire des êtres croisés dans le laps de temps d’une vie humaine durant.