Nuits

mercredi, 30 décembre, 2020

Certaines nuits marquent nos existences. Comme autant d’affects légers qui permettent le souvenir. Trop forte, une charge émotionnelle enfoui les événements dans l’abysse de notre mémoire. Trop faible, elle ne permet pas l’ancrage d’un souvenir dans nos cellules. Une simple vague se retire d’une plage de sable sans laisser de trace perceptible.

D’une saison à la suivante, je n’avais que l’embarras du choix pour m’évader, emmenant mon tempérament de bohème dans un rayon de cinq kilomètres. L’ouest et le sud me convenaient bien. Je réservais l’est pour le centre Lille et je délaissais le nord. La référence c’est la maison, sorte de refuge sans grand intérêt. L’extérieur m’attirais à la façon d’une cible pour la flèche. Enfin, en génral pour l’illustration.

Les toits de la rue Ampère

J’ai commencé à comprendre le crédit à apporter aux racontars vers douze ans. A cet age là, le soir, mon père a décidé depuis longtemps que l’heure du coucher des enfants est raisonnablement 8h30 la semaine et le dimanche ou après le film  le samedi soir. Çà fait un peu tôt pour se coucher quand-même. Nous regardons alors à la fenêtre de notre chambre avec Patrice, plusieurs heures durant parfois. La nuit est pleine, chaude dans un printemps qui frôle l’été de très près pour la température, d’une noirceur arbitraire, tout comme l’heure du coucher. On aurait dit un couvre-feu républicain, mais sans la covid. Bref, la vision de nos quatre yeux est délimitée par un champs de réverbères. L’odeur y est prégnante partagée entre celle du zinc chaud et celle des briques rouges-nord-de-France. On entend les voitures un peu plus loin qui font un bruit feutré, quoi d’autre ? Pas grand chose. A Lambersart, de nombreux quartiers, dont celui de Canteleux forment un espace dont les maisons emprisonnent des jardins. On se sent à l’abris, dans une sorte d’intimité calibrée par une agglomération de terrains d’une centaine de m² chacun, tout en herbes ou en poireaux-pommes-de-terre-salades. Nous attendons discrètement et secrètement que nos parents se couchent eux aussi.  Çà nous a pris un jour d’ennuie ? Non, même pas !

Le jour en question, un samedi pour être précis, les clients du pub pas très net du quartier nous empêchent de dormir. Curieux -est-ce le bon terme ? nous décidons de passer par la fenêtre, puis escaladons la toiture à faible pente de notre maison vers la faîtage pour aller observer la sortie de boite depuis la cheminée, sur l’autre versant. Nous ne comprenons pas tout ce qui se dit, d’ailleurs on s’en fou complètement et la bonne idée ne tarde pas à monter dans nos cerveau juvéniles. La carabine à pomme de terre. Elle fonctionne à air comprimée, nous la demanderons à Jean-Luc, le copain de quartier, le fils des épiciers du coin (chez Carlier). Rendez-vous samedi prochain… A cette distance, les granules de pomme de terre sont à l’image des mouches qui agressent les gens. Quelques chose qui gène et on ne sait pas bien quoi. On le sent pourtant ; enfin les clients du pub. On reste cachés derrière la cheminée et on se paie une bonne tranche de rires étouffés. Au bout d’un moments, on se lasse et on redescend se coucher avec une bonne blague en tête… Pas de film à la télé, mais un en grandeur nature sans spectateur. Une sorte de western des toits.

Si on se lasse d’observer la sortie d’un pub, on prend très vite gout aux toits à douze ans. Nous devenons rapidement toits-addicts. Nous voilà parti en vadrouille sur les chéneaux du coin. Sans faire de bruits, nous longeons les maisons en contournant les chien assis. La peur de se faire « gauler » (c’est le employé ) nous fait  taire et tels de gros chats, nous supervisons notre domaine d’adoption. L’objectif est de rester invisibles et nous excellons dans cet exercice. Mais les jardins restent loin et tentant. Il faut changer notre approche. Du premier étage, un vestibule donne accès aux toitures du rez-de-chaussez. Et de là, quelques bouts de murs plus loin on peut descendre dans le premier rez-de-jardin inoccupé. Ce sera notre QC. Une ancienne menuiserie qui appartient au propriétaire de notre logement. Une aubaine. Cette même menuiserie qui sera mon bureau d’étudiant un peu plus tard, dans quelques années…

Mairie de Lomme

Dix sept ans à peut près, une scolarité besogneuse malgré les apparences. Les multiples promenades, la nuit de préférence. Sous les éclairage jaunes qui me rappelait la chaleurs humaine plus vivante la nuit que le jour.

Allers simples chez Sabine

Les hivers bien enneigés m’ont entraînés au marais ou au 16 rue Léo Lagrange. D’autres endroits aussi

La Délivrance

Camper en ville c’est difficile. L’ heure de géographie était très mal placée, de 10h à 11h dans mon planning du jeudi , début de journée scolaire en classe de première. Je trouve  plus intéressant la veille, de prendre mon sac de couchage en nylon bleu ciel pour aller dormir dans une zone de terrains vagues de la SNCF. La Délivrance est désaffectée et il reste nombre de bâtiments en ruine. Je les imagine de la dernière guerre, celle qui a commencé en 39. Amas de locaux éventrés qui attisent ma curiosité. Je n’y rencontre personne. Pas plus le jour que la nuit. L’activité humaine semble cependant bien présente dans ce beau salon mortuaire à l’air libre. Je la devine, au loin, jacassante. Je ne dors ici que lorsque la nuit affiche un ciel bien noir, signe de beau temps dans une météo très personnelle. Je ne me trompe généralement pas. Pour ma première nuit, je reste à l’affût des bruits, je sursaute au moindre grincement de roue en acier des wagons. Je n’ai pas envie de rencontrer la SNCF grandeur nature et j’oublie que les rails sont plutôt éloignées dans cette nuit pleine d’échos lugubres. Les nuits suivantes, je m’intègre mieux dans ce silence de métal. Je n’y vois pas grand chose, juste une lueur tendance jaune. En 2021, le 4000K est de rigueur et c’est glauque. En 81, au siècle dernier, je dirai que c’est du 1000K fatigué. C’est agréable, c’est comparable à l’effet d’une lampe de chevet, d’un feu de bois. Bref, je dispose d’une chambre de plusieurs hectares avec une lampe de chevet payée par l’état. Mes parents donc et moi bientôt. Je me sens chez moi assez rapidement.

J’arrive de temps en temps au crépuscule, celui de la fin de journée -oui, il y en un aussi tôt le matin, avant les premières lueurs de soleil. Au printemps, un vent doux est présent qui balaye les herbes hautes et je me sens en vacances pour la soirée et la nuit. Je croise des rames de trains dans cet univers rouille et blanc, qui fini en noir et blanc sur mes photos. Je franchi quelques voies ferrées, coupant court par les bogies. Je ne me vois pas faire deux cent mètres pour contourner ces belles chariotes. J’ai hâte d’arriver près de ce bosquet d’arbres, ma maison temporaire où je pose mon unique bagage. Les arbres m’intéressent alors que pour ce qu’ils me procurent : un abris naturel. Leur essence, ma foi, aucune idée. Je ne sais pas quels variétés sont attirés par un endroit aussi délaissé.

Bureau de ministre

Samedi pluvieux, aux alentours de la prison de Loos. Depuis le déménagement du 29 au 31 de la rue Ampère, j’ai un espace bureau. Il est particulier, sans mur, sans fenêtre. Juste une toiture industrielle ; les premières générations. Un pan long en fibrociment et un pan court en vitrage armé. Le type qui casse avec morceaux éparpillés partout mais qui laisse un treillis de métal accrocher à la fenêtre ou à la porte. C’est une bientôt ancienne ébénisterie. Son propriétaire est à la retraite et mes parents louent l’appartement en rez-de-chaussez. J’ai l’autorisation de bricoler dans cet atelier de 400m² et j’occupe les lieux le mieux que je peux. Je le tiens propre en marque de remerciements. Si tu veux, tu peux aussi utiliser le bureau, me dit-il un jour qu’il quittait son atelier ; moi, je ne m’en servirai plus. Comment refuser un tel cadeau. Ce vieil homme est juste. Non parce qu’il m’offre un espace dont je rêvais secrètement. Mais parce que je le perçois comme tel. Voir les choses, les gens, n’est pas qu’un concept ésotérique. J’ai travailler deux année durant dans ce lieu magique. Ce lieu ou j’organise ma première grande randonnée sur le GR5 de quatre semaines entre la première et la terminale, en Savoie, au pied du lac du Mont Cenis. Ma première belle carte IGN au 1/200000. C’est ce moment qui marque une  belle emprunte dans ce espace meublé de planches en tout genres, tout format, toutes essences. Oh, ça sent bien la poussière, celle du bois sec mélangée par endroit à celle de la mécanique huileuse de quelques machines (je peux aussi m’en servir et je le fait). Ça sent le chaud l’été sous les verrières et l’hiver, ma foi… J’y travaille avec ma canadienne et je me gèle. Mais quel bonheur de sentir l’ouverture, l’air avec ses légers courants. Et puis je prend l’habitude, je suis chez moi chaque fois que je suis dehors. Chaque fois que je sens l’espace envahir mes sens. Je sais bien dans mon for intérieur que ce sentiment est loin. Je sais même parfaitement où  il est naît. A Avaux. Ce n’est pourtant pas ce bureau là dont il est question. Pourtant c’est bien lui qui qui m’a donné gout à un outils de travail (ha oui, ça sert à ça, un bureau…).

Me voilà donc sous ce ciel de la mort accentué par la présence de la prison et des prisonniers qui gueulent des conneries à la fenêtre. Ça m’est adressé et je ne comprends pas. Çà m’arrange. Dire que mon pote d’étude, Thierry RACIC habite là dedans. Pas taulard hein, son père travaille là et bénéficie d’un logement de fonction. Bonjour la faveur… Puis cette usine désaffectée, un panneau collé au mur qui énonce la prochaine démolition des locaux en friches. Ça commence la semaine prochaine. Dommage, ça ferait un beau studio. Je suis donc entre rues et nuit. Je ne traîne pas les rues au hasard, ce sont des lieux ciblés avec peu d’humain alentours. Voir pas d’humain. C’est plus fort que moi, les ruines m’aspirent comme l’eau dans un siphon de lavabo. Je ne subi pas les forces de Coriolis bien heureusement. Un talus de terre contre un mur plus tard et je franchi cette zone. Violation de domicile abandonné. Je circule au grès de ce qui se présente à visiter. Un bureau encore plus grand que le mien environ 1000m² si je compare les proportions. Tant pis, pas pour moi. 17 ans à ne pas oublier. Et là, devant moi, un oubli, sans doute volontaire, d’un bureau taille ministre dans la classification de l’époque. Une aubaine. Non, je ne laisserai pas ce beau meuble pour déconstruction (ça fait moderne). Je fais le tour plusieurs fois, évaluant la possibilité de l’emmener. Je n’ai pas de voiture, mais il se démonte. Huit vis et on n’en parle plus. Ces vis trouées qui servent à l’assemblage des meuble. Trouver un clou ou quelque chose. Pas trop difficile dans la quincaillerie qui reste. Me voilà en train de dévisser ce que je peux. Une seule résiste un peu et j’en viens à bout avec un peu de patience. Je prépare son dernier voyage, ou presque, pour la maison. C’est quasiment une expédition de survit de la faune de bois débité. Après avoir séparé les quatre éléments de sa structure, je les transporte qu plus près de la porte de sortie , pas trop loin de l’enceinte de la propriété.

Quoi d’autre maintenant ? Mon père. Il ne voudra pas. Il fini à 21h, il va me demander si tout tourne bien là-haut. Je sais être convainquant et lui, de son côté peut se laisser déranger par un partenariat avec son fils dans une opération de sauvetage. Je rentre à la maison, pas complément sec vu le temps qu’il fait, pour le goûter inoubliée chocolat chaud (Van Houten) sans sucre accompagné, tantôt de pain-berre-miel, tantôt de pain-beurre-fromage. Camembert de préférence. Vous devriez essayer, dans le Van Houten, c’est une tuerie ! Je ronge mon frein en attendant mon père dans une sorte d’excitation turbulente qui m’empêche de faire quoi que ce soit. 21h30, je lui ouvre les portes du garage et bien qu’il en m’en ait pas parlé, il a du sentir le coup foireux. A peine entrée, je vais à la pêche aux reste de son casse-croûte. Café, sandwich, n’importe quoi, tout y passe. Dès fois, il n’y a rien et j’affiche une profonde déception. C’est quoi ce père qui ose bouffer ses sandwiches au grand complet ? On pense comme ça à 17 ans et quelques heures de vols. Je me lance, il est fatigué de sa journée et je m’en contre fou, j’ai un sauvetage de bureau à faire en urgence. Comme attendu il se défend comme un beau bougre. Je passe les détails car très vite il me dit : bon, on y va, mais maintenant, tout de suite. Je n’en reviens pas qu’il se soit laissé faire si facilement. Pris à contre pied. Sur la route il ne parle pas beaucoup, mais trouve l’énergie de rigoler me disant mais qu’est-ce que tu me fais faire quand même. j’ai passé l’age de ces conneries. Ben non, pas tout à fait, tu as juste cinquante ans ! Un ado attardé en quelques sorte. Je sens bien qu’il flippe plus que moi. On arrive sur place. La nuit, on l’a compris, sinon on ne serait pas dans la bonne catégorie. On se met d’accord sur la stratégie : je rentre dans l’enceinte de l’usine désaffectée, j’amène les pièce du bureau au pied du mur de l’autre côté , on jette une couverture militaire au dessus pour protéger le bois, je passe le tout qu’il pose par terre. Tu feras gaffe à pas l’abîmer, j’ose lui dire. Il comprend. Son fil est taré et c’est peu de chose. De retour et pas très tranquille, hors des locaux, la tension baisse et nous chargeons le tout dans le coffre de la Simca 1000. Ha non, c’est une Talbot (…jour d’Alfred dit-on de cette voiture) et en route pour la maison tension revenue à 2. Je sens mon père heureux, un moment unique partagé avec moi. On se fait des scénarises à posteriori. On serre moins les fesses avec le sentiment d’avoir bien mérité ce beau bureau. Il me semble qu’au final, c’est une belle soirée pour lui. Pour moi, il y avait le bureau à l’entrée et la prise de conscience d’avoir une vrai relation avec mon père. Ça ne me quittera pas. Il a su être très con aussi, dans des périodes d’instabilité sociales. Ce serait monotone sinon…