Loin

jeudi, 24 décembre, 2020

J’hésite entre le doigt, l’oiseau et Nathalie. Les trois ont une mémoire, les trois ne font pas mal (enfin, on reste calme quand même…). Deux traces , l’une physique et l’autre psychologique.

L’oiseau

Il est mort et je ne l’ai jamais connu vivant. Je traînais sur un trottoir d’Anderlecht. Oh pas bien loin, j’avais le droit entre devant la porte et… devant la porte. C’est comme ça quand on est petit et que le seul risque de l’époque est de se perdre dans sa rue. Trois ou quatre voitures, dont celle de mon père qui travaille au bout de cette rue, en prenant à droite sur le pas de la porte. Deux circulent en pleine ville par période de plusieurs heures. Au moindre bruit de moteur je m’assieds sur la marche en attendant qu’elle passe son chemin. J’utilise le présent parce qu’il me semble, lorsqu’un souvenir s’installe en soi qu’il se recadre de lui même dans son contexte. Avec les nuances du décalage horaire sans aucun doute. Allez savoir pourquoi, l’oiseau est là, au pieds de l’arbre. Il m’attend, c’est mon seul copain de la rue. Sauf Nathalie dont je guette du coin de l’œil une éventuelle échappée de sa maison. On fait connaissance forcément, sinon pas de relation possible et dans la tête d’un enfant c’est une évidence. Il est peu causant la bestiole. Soit, je m’approche de lui et il ne s’envole pas. Super. Peut-être que je peux le prendre dans les mains, ce que je fais. Et là, c’est évident, il est tombé de l’arbre. Il ne me reste plus qu’à le remettre. Je prends de l’élan, le lance une première fois sans succès, puis une seconde, même résultat. Ensuite j’entends quelqu’un me parler du haut et ce n’est pas un autre copain oiseau. C’est ma mère à la fenêtre qui m’engueule par ce que je joue avec un oiseau. Mort, me dit-elle. Comprends pas ce que ça veut dire, mais je dois le laisser là. Je le fais à contre cœur et je remonte, pas le choix. L’oiseau reste seul avec lui-même et sa mortitude. Je reste seul, sans mon pote oiseau, mon frère loin, à Mouchin chez sa nounou. Aucuns sens pour moi, loin, nounou, Mouchin. Pas de trace de Nathalie non plus. Qu’est-ce qu’un frère fait là-bas au lieu d’être ici avec son frère. Pouvait pas rester chez sa mère non ? Il y a des choses que même cinquante ans après les avoir vécues, on ne sait toujours pas leur raison d’être, ou plutôt ici de ne pas avoir été. Je ne saurais jamais et tout compte fais, ce n’est pas bien grave…

Le doigt

C’est autre chose. Les enfants, ça jouent mais je ne suis pas certain de devoir parler au présent sur ce coup là. Maintenant, à l’aube d’un temps, peut être très court, qui sait, où chaque bébé sort du ventre de sa mère ou en tout cas d’un corps de femme (les porteuses). Je ne m’aventure pas. Donc, ça joue, retournons où nous étions et ça court dans un appartement d’Anderlecht toujours. Ça se calme un peu le temps qu j’aille aux toilettes. Mais l’autre, le frère indigne qui part pour de longs séjours chez sa nounou, lui, il continue de jouer. Le jeux devient « attention, je ferme la porte » et je réponds que non elle reste ouverte. Elle fait ainsi plusieurs aller-retours, sans se fermer, sans rester ouverte non plus. Petit, la main gauche sert à conserver l’équilibre sur la lunette et le bon endroit, c’est bien le montant de la porte. Pratique pour accrocher les petits doigts. Patrice, lui profitant d’un moment d’inattention de ma part fait une dernière charge, ferme la porte qui se ferme presque. par chance j’ai hurlé bien plus fort qu’un animal qui hurle à la mort. Doigt écrasé, mais ps en purée, hôpital. Pas six ans.

Nathalie

Elle devait m’adopter, enfin c’est ce que je croyais avec délice lorsque nos deux mères échangeaient. Ça ne s’est jamais fait… On semblait bien ensemble et c’est sans doute la clé. J’y croyais ferme, allez savoir pourquoi. C’était ma nounou, jeune nounou. Je ne me souviens plus de son visage ni de son âge. C’est une trace dans mon paysage, une émotion de bien être. Je n’ai pas souvent pensé à elle plus tard, mais elle n’a jamais disparu de cet endroit que je lui avait sans le savoir, gardé au chaud dans quelques cellules.

Ce que nous savons

Nous savons maintenant qu’il existe une amnésie infantile. Reset du cerveau avant l’age de quatre ans. Une pure merveille de la psychologie. Je dois posséder une anomalie pour oser me souvenir alors que la science décrète que non. En échangeant de temps et autre avec des connaissances ou des amis, je me sens bien moins seul à m’autoriser des souvenirs antérieurs à mes quatre ans. Brussel est le plus anciens. Mais non, tu ne peux pas te souvenir, tu dis n’importe quoi me dit ma mère il y a une quinzaine d’années. Tu était trop petit. Disant ça elle ne se souvient pas elle même de mon âge de cette époque (hou… ça sent le vieux !). Pas dégonflé et pas peur du ridicule… Bon et si je te dessine l’appartement, que je te décris la rue et deux événements dont tu devrais te souvenir, qu’en penses-tu ? En contre partie, tu me précises à quel étage nous étions, car ça, j’ai oublié. Ça me semblait tellement haut que j’ai un sérieux doute. Elle entame un rire discret qui commence à afficher le doute. Elle acquiesce finalement, ne comprenant pas pourquoi je tenais à cette description. Moi non plus du reste, jusqu’à aujourd’hui. La mémoire. Celle qu’on ne lave pas à coup de propagande. Ce n’est pas une bonne idée de vouloir planter une vis dans un kaléidoscope. Mais pour tout dire, la continuité des autres souvenirs rattachés aux lieux est assez diffuse et cela n’efface pas les souvenirs. J’ai donc gagné mon étage, c’était le premier…

Mes déménagements successifs permettent de retracer la chronologie de mes lieux d’habitation et donc des âges qui vont avec. Dans l’ordre, Lille, Reims, Troyes, Brussel, Avaux-le-Château (devenu Avaux tout court), Baâlons, Lille sud, Lambersart, Lille (centre, Five, Boulevard), Carvin (j’achète mes équipements motos là-bas. Drôle), Lille encore, Voiron, St-Geoire-En-Valdaine, St-Bueil, La-tour-du Pin, Velanne, Valencogne et enfin St-Jeure D’ay. Pour situer tout ça, il y a votre ami Géortail et bien d’autres… C’est certain, il faut suivre…